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Voyage d'éléphants
22 octobre 2010

Con sabor a Salsa

   Tôt le matin, je pars pour une ballade solitaire dans les ruelles de Cartagena. Je déjeune d'abord dans les premiers petits stands qui commencent à ouvrir, me mêlant aux groupes de travailleurs du port pour acheter les patacones, chorizos, arepas, quesitos, une nourrtiture entièrement frite qui contribue à la rondeur des hanches et à la grâce des danses. Je suis complètement fou des patacones (banane plantin frite quand elle est très mûre). J'arrive sur la place Bolívar. Les musées et la cathédrale n'ouvrent qu'à huit heures, alors j'attends dans le parc en admirant les oiseaux tropicaux qui piaillent dans les arbres et en discutant de l'histoire de la ville avec les retraités déjà assis à leurs postes. Quand vient l'heure, je commence par visiter le musée de l'Inquisition. Celui-ci est installé à l'intérieur de l'ancien tribunal religieux, un palais colonial somptueux, instauré par les Rois d'Espagne en 1610 pour aider ceux de Lima et México à lutter contre les croyances hérétiques des milliers d'indiens, africains, juifs émigrés et autres renégats de la foi catholique vivant en Amérique. Je peux témoigner de son échec: si le catholiscisme est bel et bien omniprésent en Colombie, il est très loin d'être tout blanc. Discuter de religion avec les divers autochtones est une expérience de la foi vivante, bigarrée, à la recherche de dieux anciens et nouveaux qui expriment l'inextinguible soif des hommes. L'entrée du musée est très chère, mais me tournant vers mon idole la hyène, je parviens à charogner un tarif étudiant avec ma carte TCL (transports en commun lyonnais) de 2009. Je me promets d'acheter un bon bisteack pour la hyène, sachant que son bonheur deviendra le mien, qui rayonnera à travers moi sur le monde, et le rendra plus beau. Le musée est très intéressant, j'ai lu l'intégralité de ses panneaux (sauf ceux de l'exposition temporaire sur l'anniversaire des 200 ans d'indépendance de la Colombie, qui tourne une fois de plus au vaste branloir patriotique). Il ne se consacre pas uniquement à l'Inquisition (juste assez pour me faire réviser mes classiques en terme d'instruments de torture: casse-tête, perce-ongles, écrase-seins, et autres joyeuseries de nos chers sadiques adorateurs de l'enfant Jésus), mais également à la très riche histoire des cultures qui se sont succédées (ou mélangées) dans cette région phare de la colonisation espagnole. Je découvre ainsi l'existence des Karibs, Zénus, du village de Palenque fondé à moins de 50 kms de Cartagena par les esclaves noirs évadés, et où ils ont maintenu leurs traditions africaines (danses, cuisine, rites funéraires, culte des anciens,,,,) intactes... jusqu'à aujourd'hui! On y parle encore le "palenque", mélange linguistique unique entre l'espagnol et diverses langues africaines. C'est un des endroits que je tiens absolument à voir avant de repartir en France (mais ce sera pour une autre fois). J'enchaîne sur la visite de la Cathédrale, où l'on ressent très fortement l'influence des Amérindiens sur la décoration (donnant une sorte de christianisme hiéroglyphique à base pyramidale, cf photos de l'album à venir). Je termine par une marche aléatoire dans le centre, qui a le bon goût d'être assimilable à un plan, et doit donc me reconduire à mon hôtel en temps fini,  d'après un célèbre théorème de Pólya. Une terrible averse me surprend. En dix minutes, les rues sont plongées sous 20 centimètres d'eau. Cette saison des pluies dure depuis presque un an, à cause d'un phénomène climatique régulier appelé "la niña", qui cause à chaque fois de graves innondations. Je suis obligé de me coucher contre un rempart pour ne pas être trempé (Cartagena dispose d'un des très rares complexes militaires médiévaux d'Amérique. Son port est ainsi protégé par des kilomètres de murailles). J'en profite pour discuter avec un jeune vendeur de bières ambulant, abrité là lui aussi. Il me conseille sur le meilleur endroit où manger, le barrio Getsemani, calle media tripita, située justement pas très loin de mon hôtel. J'y dévore un poisson frit, accompagné d'une salade de betterave, de riz coco, de patacones, d'un bol de bouillon, et d'une aguapanela glacée con limón, hmmm.

   A l'hôtel, je trouve K. encore endormie. Je lui raconte brièvement mes trouvailles, et nous faisons encore une sieste d'une petite heure. Après cela, je téléphone près de trois heures à Laura suite à un de ses messages, et nous sortons dans la nuit. Il y a un contraste saisissant avec le reste de la Colombie, où règne des 19h une triste ambiance de couvre-feux. A Cartagena, il n'en est rien: partout des coctelerias (vendeurs de fruits de mer dépiotés au verre, servis en sauce. Je recommande le mélange huîtres-jaiba. Ne pas boire cul-sec.), des troupes de danseurs, musiciens, bars animés,... Je pense que ceci est lié au fait que Cartagena, en tant que centre touristique, a été longtemps tenue à l'écart des violences qui ont ravagé l'ensemble du pays jusqu'à il y a peu d'années. J'avais déjà observé ce phénomène au Chili, où la destructuration des liens sociaux, notament les fêtes et la création des couples, allait de pair avec l'augmentation des violences liées à la politique ou l'économie. Nous assistons à de superbes spectacles de danse en plein air et gratuits (cliquer ici), puis nous nous rendons dans un bar salsa à l'ancienne. Très bonne ambiance. Nous dansons comme des petits fous. Ensuite, je m'assois dans un coin pour écrire, car chacun des couples présents mérite une attention...

Il y avait ce vieux monsieur noir avec ses lunettes et son polo vert rayé de jaune. Il est en train de m'apprendre à danser sans le savoir. Ou peut-être qu'il le sait, vu qu'il a l'air de tout connaître en ce moment où la musique écate, berce, tourmente à ne plus savoir que faire de mon cul sur une chaise.
Naan, il faut que je me lève...

Ces danseurs aux visages si paisibles qu'on dirait qu'ils dorment, et font un rêve heureux. Pourtant le mouvement de leurs hanches ne trompe pas: ils sont évéillés et ils dansent, comme cette boa assoupie qui nous faisait la morte... pour mieux se faire caresser sans doute. Boa sensuelle, monte dans ma canasta et voyage avec nous jusqu'à la Côte, où nous coulerons des jours heureux! Je te soignerai moi tu verras, je te bichonnerai et je t'enverrai danser la danse du ventre, ce ventre d'écailles souples que mes mains ont su tenir, mes mains ont eu cette chance, grâce à Dieu! J'espère que tu vas déjà mieux. Boa, mon boa, ma boa, mambo, quel cadeau merveilleux, pour un garçon comme moi, d'avoir pu caresser ton ventre, j'en rends grâce à Dieu! Et regarde-nous...

Impeccable, le gorille
Il ne savait pas trois pas, le gorille
Il ne sortait pas avec, le gorille
Pourtant il lui en a montré, à la guenon.

Il l'a faite danser, le gorille
Il a joué avec, le gorille
Sans trop savoir grand chose, le gorille
Il lui a bien plu, à la guenon.

Ah, ils doivent bien se marrer les blacks, de nous voir usurper leurs pas de danse, et les utiliser à mauvais escient. Il y a toujours algo qui nous échappe. Il y a toujours algo qui s'envole, sans nous, et on reste con.
Les noirs ont un secret pour la danse qu'ils ne veulent révéler à personne. Que cache la danseuse au secret des hanches de ce noir musculeux?
Elle cache d'autres hanches, les siennes, et leur mouvement secret dont elle ne montre à nous que le derrière, et garde tout le devant pour son noir amoureux.
Ah, ils dansent bien collés pour qu'on ne puisse rien voir!
Dansez donc, dansez les noirs, si ça vous rend heureux.
Dès fois je regrette de ne pas être un des vôtres. J'allais en boîte peupler mes nuits. Je demandais à toutes les filles de Carthagène: "s'il te plaît, apprends moi le secret des noirs pour la danse" et toutes s'enfuyaient en riant. Je n'étais pas le zoulou blanc. Je n'étais qu'un jeune apprenti charmeur de boas danseuses, et je les récoltais assoupies, létales, au milieu des rythmes, extases, couleuvres et noirs. Sont-ce leurs muscles possiers qui les font paraìtre à des flammes quand ils dansent? Et celui-là, si classe, qui ne vit avec sa femme que pour lui dire je t'aime. Les poils de sa barbe sont blancs comme il faut, c'est comme ça qu'ils doivent pousser les poils de barbe, chez un noir exemplaire. C'est un modèle, il est grave, il applique les méthodes à la règle, et même les trous de son jean sont à suivre comme exemple, lorsqu'il danse calmement.
Il était chauve, mais il a eu la dignité de se raser lui-même.
[...]

Nous avons encore dansé longtemps, fondant nos peaux blanches tant bien que mal, qui des épaules qui de la hanche, nous apprenions à nous relâcher sous les tambours. Sans rien savoir, nous réussîmes pourtant à nous arracher à leur fascination. Au retour, je m'empiffrais de riz coco, patacones, beignets de viande et de yucas, en abandonnant la moitié en chemin aux mendiants sous la pluie ardente.

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Commentaires
N
Toulouse-Trèsloindansunautremonde, embarquement porte 3, je répète embarquement porte 3.<br /> <br /> Mec, on voyage avec ton blog.<br /> Merci.
Voyage d'éléphants
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