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Voyage d'éléphants
30 octobre 2010

Ríohacha

   Nous nous réveillons tard (6h00). J'ai été mangé toute la nuit par une espèce de petites mouches très vicieuses. Pires que les moustiques. Leurs blessures n'enflent pas, mais elles démangent, saignent abondamment, et sont comme des espèces de morsures. J'en ai les jambes couvertes. Heureusement, par-contre, il n'a presque pas plu. Laura K. est toujours malade.
   Au village suivant, Minguéo, nous allons chez le mécano pour régler ses changements de vitesse victimes de la chaleur. Petit indien moustachu, air vif, pas fait payé. Plus loin, à Puerto Bomba, restau "No hay como Dios". Très simple, arroz con camarón, plátano, pescado frito. Lo que hay. Un ingénieur assis à ma table, avec qui j'ai longtemps discuté, m'offre le repas. J'accepte sans hésiter.
   Tout ce que nous pensons lorsque nous sommes à bicycette, et que nous ne nous rappelons pas, doit s'inscrire quelque part dans nos muscles. Cela fait une grosse réserve de rêves, comme quand nous étions petits.
   Le reste du village est inondé, et tous les habitants sont au bord de la route, exposés au soleil et à toutes les pénuries du monde (eau potable, nourriture, vêtements,...). Les enfants ont inventé un jeu pour se distraire qui consiste à tendre un fil en travers de la route et à le baisser au dernier moment quand une voiture passe.
   Nous croisons deux vénézuéliens: Antonio et Estevén, un père et un fils qui entreprennent une marche de 51 jours de Santa Marta à Caracas pour la paix entre la Colombie et leur pays. Ils nous donnent un truc de sportif: s'enduire toutes les zones qui frottent (aine, aisselles, tétons, orteils,...) de vaseline, pour éviter les irritations.
   Mon vélo se fait vieux. La rouille saline en a mangé la peinture, et il fait un cliquetis de bateau fantôme.
   Nous croisons quelques oiseaux: un mélange très réussi d'aigle, de canari et de perruche, et un autre qui semble avoir hésité une minute de trop, au moment de l'évolution, entre la poule et le condor.
   Nous percevons également les premières grandes lignes droites. Ça fait peur. C'est presque plus fatigant que les montagnes, psychologiquement parlant. Parfois la route et le paysage ne varient pas sur plus de 40 kms! On pédale en ayant l'impression déprimante de ne pas avancer. La végétation commence à se tasser.
   A Ríohacha nous descendons dans un hôtel très "Down in México" (bien qu'en Colombie ce soit presqu'un pléonasme), 14000 pesos la chambre double (à peine plus de 5 euros). J'aperçois trois étranges rougeurs au bas de mon ventre qui pourraient devenir, à terme, des bubons. Méfiance.
   Nous demandons à un chauffeur de taxi de nous emmener là où on peut manger de bonnes pizzas. Il nous conduit à la cafét d'un "Olimpia" (grande surface), en disant "allí consiguen de todo y bueno". Encore d'autres mots qui n'ont pas le même sens... Tout a un goût plastoc. Les gens qui baffrent là portent de coûteux vêtements de marque et ont tous l'air en très mauvaise santé. Un peu comme dans les macDos en France. J'achète un litre de yaourt à la fraise et un paquet de corn flakes que j'engouffre intégralement dans mon lit d'hôtel. Il y a des fois comme ça, quand on voyage, où l'on éprouve le besoin d'effectuer un retour brutal à la civilisation...

Noire 1: Laura K., qui n'arrivait pas à trouver le sommeil, est sortie discuter avec le gérant de l'hôtel. Celui-ci lui a confié certains épisodes de sa vie, comment notament lui et sa famille ont travaillé pendant plus de quinze ans à la construction d'une "finca" agricole à la campagne, et comment, à peine finie, les militaires les ont chassés de leur région natale, sous prétexte de libérer la région des narcotraficants. C'était il y a huit ans. Ils ne peuvent pas y retourner à cause des menaces de mort. La finca est mystérieusement passée aux mains d'un autre, et ne leur sera vraisemblablement jamais rendue. Depuis, ils vivent à Ríohacha de cet hôtel. Ce drame est une histoire courante pour des millions (sans exgération) de paysans Colombiens déportés par la guerre.
Un des facteurs ayant accéléré le processus est le maïs. Le maïs est une des denrées les plus consommées dans l'alimentation colombienne et de nombreux autres pays d'Amérique. Il y a une dizaine d'années, le Gouvernement a déclaré qu'il était plus rentable d'importer le maïs des Etats-Unis que de le produire sur place, et a gelé tous les achats de maïs colombien en introduisant des millions de tonnes de céréales nord-américaines. Des millions d'hectares de terrains agricoles, devenus sans valeur, sont alors tombés aux mains de l'Etat, c'est à dire de quelques unes des plus riches familles du pays. Il va de soit que le contrat  a été extrêmement apprécié par les Etats-Unis. Les populations ont d'autre part été "aidées" par l'armée, à travers quelques grands massacres erreurs de frappes, à quitter les campagnes pour les villes, devant choisir là-bas pour survivre entre la mort par inanition l'honnêteté, la délinquance, ou... s'enroler dans l'armée, toujours demandeuse de bras.
Voici, vue de l'intérieur, le fameux terrorisme colombien orchestré par quelques gros gros riches et la Maison Blanche de dangereux communistes narcotrafiquants.
L'Union Européenne fait grosso modo la même chose avec le blé en Afrique.

Noire 2: La feuille de coca, dont est extraite la cocaïne, est rigoureusement interdite aux Etats-Unis, comme dans la grande majorité des pays du monde. Pourtant, une entreprise bénéficie d'une curieuse dérogation pour en importer plusieurs milliers de tonnes chaque année, afin d'aromatiser ses boissons gazeuses. Evidemment, comme elle n'utilise pas la molécule de la cocaïne pour ses boissons, elle prend soin de l'extraire des feuilles avant d'en faire une saveur naturelle appréciée des enfants. Personne ne sait très bien ce que devient au juste le "déchet"... Le nom de cette entreprise? La Coca-Cola Company.
   Autre anecdote du même genre: avant de s'investir militairement en Colombie dans les années 40 (provoquant ainsi l'apparition des tristement célèbres guerrillas colombiennes, accusées à grands cris de narco-traffic par les défenseurs royaux de la démocratie), les Etats-Unis ont tout d'abord mené de nombreuses expéditions scientifiques ayant pour but de pouvoir cultiver la feuille de coca sur leur propre sol. Malheureusement, ça ne pousse pas. Cette plante fragile nécessite des conditions très particulières que l'on ne trouve que dans très peu de pays. Il faut reconnaître que l'intérêt des gendarmes du monde pour cette culture et tout de même curieux.
   Mais c'est qu'il n'y a pas que le pétrole dans la vie! Avoir le contrôle de son propre marché de cocaïne, pour une démocratie qui ne se respecte, c'est aussi important. Depuis la nuit des temps, les drogues ont toujours joué un grand rôle dans toutes les sociétés humaines, et les gouvernants américains le savent bien. Aussi, par souci d'idéologie libérale, il vaut sans doute mieux avoir la main mise sur toutes les commandes, histoire de pouvoir assurer un appovisionnement correct et régulariser la consommation de ses millions de citoyens... Quitte à diviser le pays producteur dans une atroce guerre perpétuelle.
Comme d'habitude, il semblerait que ce soit la présence de ressources naturelles qui fasse le malheur du tiers-monde (et non pas le contraire). Les règles ne sont peut-être pas aussi justes qu'elles le prétendent. Et un malheur qui se prolonge sur des siècles ne peut pas être seulement le fruit du hasard. Tous semblent bien intentionnés et conscients du problème, mais à travers l'Histoire, aucun président n'a jamais mis fin au problème de la drogue.

Aujourd'hui, quelque part dans le monde, l'Autorité organise l'addiction et la dégradation de millions de gens, et la mort par la guerre de millions d'autres.
Un Sourire.

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Commentaires
A
Pas mal le cours sur la coca... De tout façon les ricains c'est tous des enculés ! Quoi ? Comment ça je vais vivre aux USA ?
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