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Voyage d'éléphants
1 novembre 2010

Au Cabo de la Vela

   La señora me réveille a las 6. Elle dort avec sa mère près de l'entrée, sin más almohada que ses boucles brunes. Ce tableau m'évoque "El sueño de la Malinche" de Ruiz. Je me prépare en vitesse, zucaritas, et me voici avec mon baúl prêt à partir. Pour continuer au Nord, vers la Guajira sauvage, la route s'arrête là où je l'ai laissée hier, sur nulle part: une vague piste de terre battue et brouillée par les eaux semble la poursuivre. Impratiquable en vélo. Il me faut demander à quelqu'un de m'emmener. J'extorque à grand peine l'info aux indiens, mais ne suis pas sûr de quelles voitures sortent pour Le Cabo de la Vela, et lesquelles peuvent me prendre. J'attends donc à l'arrêt de bus, sans trop savoir quoi. Qu'importe, je les observe s'installer dans leurs stands, se chamailler, les hommes chatouillent les femmes les plus jeunes, tandis que les vieux allument des feux avec du charbon et du plastique. A sept heures débarque un couple important pour la suite de mes aventures: Dayro et Diana, un technicien et une ingénieure électriciens, qui vont au Cabo también. Nous continuons donc d'attendre ensemble. 9h00, les premières camionettes passent. Un homme nous dit qu'il peut nous prendre. Nous montons, il s'arrête au marché, pour récupérer une caisse de glace et deux passagers supplémentaires... tu parles, Charles. La camionette ne démarrera qu'à 13h passé, pleine à craquer de gens et de marchandises. Evidemment, tout le monde le savait sauf les trois touristes (nous), et les gens ont tranquillement fait leurs courses et promenades avant l'heure du départ, pendant que nous poirotions rieuses. Le conducteur semblait peu désireux de voir trois de ses clients prendre la poudre d'escampette, et nous a entretenus toute la matinée de "ya vamos". J'en ai profité pour discuter avec Diana et Dayro, tout en scrutant attentivement l'activité du marché, très animé, surtout par les nombreuses chèvres geignardes dès qu'on les attache pattes en l'air pour le transport (à la main, en vélo ou en camions) et le stockage. J'ai bien sûr fait quelques tentatives pour trouver une autre camionette, mais les Wayuu semblent doués d'étranges pouvoirs télépathiques, et ont tous refusé de nous prendre, étant entendu que nous avions déjà "signé" avec l'un des leurs. Chipper les clients des copains, apparemment pour eux ça ne se fait pas. De toutes façons les voitures sont parties en même temps en caravane affronter les chaos et les sables du désert. Elles débordent littéralement: il y a des passagers à l'intérieur, accrochés sur les côtés et je ne sais combien d'autres sur le toit. Avec nous dans le coffre: une femme qui allaite son petit (j'ai voyagé avec Pochaontas), de nombreuses grand-mères aux belles mantas colorées, deux hommes, deux niños, et deux autres femmes. Coincé entre Dayro et une des grand-mères, je peux à peine bouger. Mes fesses me font encore mal du vélo, et le voyage dure trois heures sans étirement. Je prends quand même quelques photos en vol. La Guajira me plait de plus en plus, désertique et indienne. Je retrouve ce calme et cette profondeur que j'avais connus dans l'Atacama. Si Laura me quitte et que mes parents meurent, c'est dans le silence de ces sables que je viendrai renaître. Je vois encore des cactus, des chèvres et un cochon sauvage, un peu sanglier et un peu laine, dont devait se repaître, friand, le boucanier jadis.

    J'ai beaucoup parlé avec Dayro et Diana, me caen bien. Il y a des gens qui vous font surgir pleins d'idées atteintes dans le crâne. La meilleure que je retiens est celle d'ouvrir un restaurant Colombien en France, avec les photos de mon voyage. Ce serait tirer habilement parti de la publicité faite à ce pays par TF1. Un peu folingues, ils se sont barrés pour ce week-end de trois jours accomplir leur rêve et visiter la Guajira. En ce moment, ils bossent sur un chantier à Santa Marta. La femme de Dayro, très jalouse et possessive, est à Bogotá et n'est au courant de rien. L'amant de Diana, un homme marié et aussi ombrageux, ne sait rien lui non plus. J'ignore dans quelle mesure ils exagèrent les défauts de leurs parejas respectives, mais toujours est-il qu'ils ont l'air de bien s'amuser, et je ne peux pas leur donner tort. Llegamos. Choix de l'hôtel, dejamos a la Juana, y vamos a donde Nena. La comi'a 'tá muy rica (pescao frito: pardo, patacones, arroz y ensalada), et l'hostal très joli. Nous allons nous ballader jusqu'à l'anochecer. Les filles du poste internet (installé par le gouvernement pour "connecter" la région) exhibent d'énormes loches, et des gueules de judas carcéraux. Des poupées gonflées pas très aimables. Elles m'envoient tartir une première fois, pas encore ouvert. Une heure après, deuxième assaut, elles me disent que ce n'est pas possible parce que la connexion est tombée. Je leur demande alors comment elles font pour être connectées à leurs facebooks... Sourire baboue, elles me montrent un poste du doigt. Ce n'était quand même pas si dur.
   Nous rentrons en suivant la plage, et prenons quelques "polars". Et quelques polars. Et quelques polars. Et ainsi de suite, jusqu'à ce que le nombre de bouteilles dépasse notre seuil d'arithmétique intuitive. Pas celui du patron. Un homme énorme (impossible à entourer de mes bras) et agréable, sincère, pas comme le chauffeur de ce matin. Notre créance est sans doute soutenue par la godaille. Il nous prépare un bon plat de salchipapas pendant qu'un groupe de quinze Wayuu regardent sur le câble, complètement absorbés... un reportage sur les Wayuu de la Guajira! Quand celui-ci prend fin, ils rompent brusquement le silence et se mettent à le commenter de façon animée. En voila qui ne perdent pas de vue le monde en marche! J'avais déjà entendu des histoires à propos des Mapuches (grande communauté indienne au sud du Chili) qui portent plainte et gagnent tous leurs procès dès qu'on s'en prend à leur image ou qu'on essaie de subtiliser un produit de leur culture (dernier en date contre Microsoft, qui voulait faire entrer le mapuche dans son dictionnaire Word, sachant qu'il est traditionnellement interdit d'écrire cette langue). Moins naif qu'ils en ont l'air, ces Indiens.

   Je profite de ce que nous ne sommes pas à la saison touristique pour faire d'artisanales emplettes. Une robe de princesse, un collier en vertèbres de requin et un bracelet tissé main, rondement négociés auprès d'un vieux farceur. Nous terminons, un peu saoûls, par rentrer à notre hôtel dans le noir absolu (pas d'éclairage public en dehors d'une certaine zone). Encore une chose qui m'a rappelé l'Atacama. Nous prenons un bain de 22h dans des Caraibes d'un calme plat, à l'eau doucement tiède et au sable grain de papouille. Chacun grimpe dans son hamac pour la nuit.

LEXIQUE :

almohada : oreiller

anochecer: tombée de la nuit

llegar : arriver

manta : ici, robe ample en toile

pareja : couple

también : aussir

ya vamos : c'est bon, on y va.

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Commentaires
A
J'aime bien amour, gloire et beauté (des mots qui font rêver) version colombienne...
Voyage d'éléphants
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