La montée de Santuario

   Au réveil, nous nous sentons en pleine forme. J'arrive à capturer un énorme crapaud, ce qui me procure le plus grand des plaisirs. Je me douche à oilpe dans l'eau froide pendant qu'il fait encore nuit, et nous quittons le camping.
   Nous montons d'une traite 40 kms pas trop raides. C'est surtout dur à cause de la chaleur et d'un embouteillage géant dû à un éboulement sur la voie. Des centaines de camions sont arrêtés sur la route pendant plusieurs heures. Quelques très rares pensent à couper leur moteur... Nous mourrons presque d'asphyxie à cause des gaz. On nous dit que c'est très fréquent en Colombie. Je parle des éboulements, bien sûr. Nous finissons par passer au travers vers le Río Caldera. Comme il est déjà 14h, nous nous arrêtons dans un restau pour manger. Nous sortons complètement épuisés de l'épreuve et faisons peine à voir avec nos joues exsangues chauffées à rouge par les rayons du soleil, si bien que la señora propose à Laura K. de s'allonger sur un matelas à l'intérieur. Pendant ce temps je discute avec un jeune père de famille qui a l'air plus ou moins lié au bar (nous sommes les seuls à être en train de manger, les autres colombiens, camioneurs pour la plupart, ont entrepris un vaste apéritif à la bière le temps que le bouchon se dégage). C'est un type très intelligent, en tous cas quelqu'un qui a un peu voyagé, et chez qui les mots ont le même sens que pour moi (surtout les mots "kilomètre", "heure", "montée", "descente", "langue",... Certains conçoivent à peine qu'en France on parle une autre langue. D'ailleurs qu'est-ce-que la France? Que peut bien être une autre langue? La langue?).
Il a un peu voyagé c'est vrai: il a été déplacé par l'armée pendant plus d'un an d'un endroit à l'autre, durant les combats de "libération" de la région, qui ont laissé tant de paysans sans terre. Il m'explique donc très bien comment est le reste de la route: une montée pure et dure jusqu'à Santuario puis du plat et de la descente jusqu'à Medellín. Environ cinquante-cinquante. Kilomètres. Ça nous prendrait presque trois jours. Or nous sommes attendus pour aujourd'hui à Medellín. Il nous conseille quelle compagnie de bus prendre, car toutes n'ont pas de soute pour les vélos. Cinq minutes plus tard, un Tolima nous récupère, et nous lui demandons de nous laisser après le plus dur de la montée. Nous contemplons celle-ci avec un certain soulagement, mais quel dommage aussi de passer si vite à côté de si beaux paysages!
   Dans le bus, on nous passe l'intégrale des clips d'un chanteur à l'eau de rose: Giovanni Ayala. A voir et à partager.

   Le bus nous largue à Santuario au coucher du soleil. N'ayant pas le temps de choisir meilleur endroit, nous commettons l'erreur de camper dans un jardin public un samedi soir, après avoir quand-même demandé l'avis de la police.
Laura K. va se coucher pendant que je discute une paire d'heures avec un voisin: Orlando, fondateur d'une église chrétienne nouvelle, en relation avec pas mal de sectes évangelistes nord-américaines. Il lit avec difficulté mais passionnément et en quantité au vu des nombreuses bibles qu'il a surlignées et semble connaître par coeur. Le reste du temps, il loue des machines à laver pour la nuit qu'il livre avec sa moto-remorque, et est infirmier dans la compagnie de pompiers de Medellin. Nous discutons d'homosexualité, de mariage, d'apôtres et échangeons de bonnes paroles. Il m'offre du lait parfumé au coca-cola, du gâteau, et en partant une bible de poche.

PARENTHÈSE: "SERVICE BURRO REPRODUCTEUR, ENFIN L'AMÉRIQUE COMME SI VOUS Y ÊTIEZ."

Un âne, voyant défiler les ânesses, et les petits billets pour son maître qui loue sa puissance sexuelle en germes. En voilà un qui n'est pas contre la réforme des retraites!