Boa lazare constrictor
Nous petit-déjeunons dans le noir des cinq heures, assis sur le trottoir, d'avocats, de zapote, et des galletas achetés la veille. En début de chemin, nous trouvons sur la route le cadavre d'un jeune boa, parfaitement intact. Un paysan dans le champ nous explique l'avoir tué il y a peu d'un coup de machette. Pris de ferveur devant cette perspective en peau de reptile, nous l'embarquons et poursuivons notre route, chacun réfléchissant à la meilleure manière de tanner et dépecer l'animal. La bestiole froide passe ainsi près de deux heures sur mes genoux, après que nous l'avons bien porté autour du cou pour une scéance photo. Une trentaine de kilomètres plus loin, au moment d'acheter un jus d'orange miraculeusement apparu après que K. en a formulé le souhait, nous exhibons notre trouvaille aux villageois qui s'ameutent, excités, puis reculent en hurlant face au boa miraculeusement ressucité! Pas moi, puisque je le porte à bout de bras... D'habitude, je ne suis pas contre les miracles, mais quand ils commencent à enrouler leurs puissants anneaux autour de mes mains en sifflant, ils me font moins marrer. J'ai juste le temps de m'approcher d'un fossé voisin et de l'y balancer avant que l'étreinte n'ait complètement retrouvé toute sa vigueur. Un sacré frisson!
Certains villageois rient fort de l'aventure, nous aussi (nerveusement), d'autres se précipitent pour nous laver les mains d'un éventuel poison, quelques femmes, enfin, se tiennent le plus loin possible de nous avec des moues superstitieuses et des grimaces d'effroi. On s'en souviendra longtemps à San Juan Nepomuceno!
A la Cruz del Viso, où nous nous arrêtons à cause de la chaleur, nous tombons sur un restaurant prétentieux dans une station-service (imaginez-vous: ils gèrent aussi un cyber café!), cher et tenu par des costeños demeurés qui aimeraient mieux nous voir déguerpir. Las, j'armais mon scandale en m'allongeant par-terre le temps d'une sieste (dehors, quand même, pour ne pas trop gêner). Malheureusement au moment de partir, ma roue est crevée (roue arrière cette fois, crevaison double: un bout de métal et une épine). Je dois donc la changer, et me fais engueuler une fois de plus. Première fois que j'entends un restaurateur se plaindre en Colombie. En voilà qui sentent la France! Ils n'ont pas dû se rendre compte des tas de clients qui se pressent pour venir nous parler, savoir où nous allons, et mangent ainsi pour la première fois sans avoir les yeux rivés sur leur immense téléviseur à écran plat. C'est peut-être ça qui les a vexés.
Nous franchissons le Canal del Dique, un ensemble de nombreux ponts supportant la route à fleur d'eau. Circuler ainsi sur une plaine en-dessous des flots à un côté surréaliste. On se demande comment ils évitent l'inondation qui ravagent en ce moment une grande partie du pays. En Arjona, le patron d'un hostal coquet nous fait un prix (16000 pesos contre 20000 au départ) et nous nous y installons. Les écriteaux de l'hôtel sont pleins de fotes d'orthographe. Du coup je ne sais pas si j'ai le droit de cracher par-terre ou pas. Nous faisons un tour au centre, où nous dégustons des morceaux de mangue servis sel-poivre avec du jus de citron, et de la glace à la mandarine. Comme il n'y a qu'un lit double dans la chambre, nous tirons à pile ou face et K. dort au sol.
Je m'endors rayonnant de bonheur à la pensée que demain je vais voir pour la première fois la mer des Caraîbes. Pirates, pirates, pirates.... L'île au trésor et Saint-Domingue. Les nègres marrons. Cartagena de Indias et Sir Francis Drake. Je ne pensais pas que je la verrais un jour. Je ne sais pas encore si elle existe vraiment. J'en ai tant rêvé. Si je ne meurs pas dans mon sommeil... Zzz... Zzz...
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