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Voyage d'éléphants
26 octobre 2010

Tayrona

   Le lendemain matin, après le petit-déjeuner, nous nous avançons vers l'entrée du parc. Tiens, c'est drôle, le seul prix qui manque sur la carte est celui pour les touristes... Comme nous sommes un peu renseignés, nous n'acceptons pas d'autre somme que les 34000 pesos réglementaires, ce qui nous semble déjà assez cher. Nous devons supporter pendant une demi-heure la présence irritante des deux fonctionnaires paresseux, chemises coûteuses largement ouvertes sur leurs imberbes graisses à modeler, opulence et fatuité, un air de corruption et d'inutile, ils ont à peine la force d'encaisser l'argent qu'on leur donne c'est pourquoi ils ne soulèvent pas le lourd couvercle de la caisse et l'enfournent directement dans leurs poches... Pas question d'avoir un plan, un renseignement ou quoi que ce soit sur le parc. Quoi, des touristes qui parlent espagnol? Allons à la plage Monsieur Renard (Vamos a la playa Señor Zorro). Veuillez passer directement par la case taxi svp. Nous évitons ceux-ci qui proposent de nous emmener au coeur du parc pour des sommes franchement exagérées, et débusquons un bus bien barato, appartenant à un gros lard et un petit musclé sec aux têtes de vieux dealers à la recherche de clients (c'est d'ailleurs sûrement le cas), et qui se disputent vertement en se soupçonnant de se voler l'un l'autre. C'est aussi sûrement le cas. Autant dire que l'ambiance dans ce temple de la Nature et du Tourisme n'est pas rose.
        Toujours est-il que l'on finit par nous déposer cinq kilomètres plus loin, là oú la route s'achève. La seule chose que l'on veut bien nous dire, c'est où se situent les nombreux restaurants et campings où l'on pourra nous traire. Bon. On se lance sur le sentier "emménagé" qui mène aux plages, et qui est la zone la plus boueuse du parc. Prenez des bottes, ou une machette. Il faut reconnaître que la forêt est très belle, et semble regorger de richesses inconnues. Dommage qu'il n'y ait personne d'autre pour nous renseigner que des marchands de services à la con (promenade à cheval, glaces, location de hamacs pour le prix d'une couille, etc) tous plus ignorants les uns que les autres. Nous traversons en effet plusieurs campings qui sont plus chers que les hôtels. Heureusement que nous sommes hors-saison. Et il est bien sûr défendu de camper hors de ces zones...
         Nous continuons de nous enfoncer dans le parc, redressant nous-même les panneaux d'indication couchés par les vents, en tentant de deviner leurs directions. Nous arrivons sur la plage d'arenita, où nous dormons pendant des heures à l'ombre, dans le sable. C'est la première crique baignable, car protégée des courants marins par une immense barrière de corail que l'on voit émerger à fleur d'eau. Le site est vraiment magnifique. Il était considéré comme sacré par les indiens de la région, et je comprends pourquoi. C'est ici que viennent se reproduire annuellement certaines espèces de tortues de mer. Vue de la falaise, la barrière de corail évoque l'utérus d'une déesse, zone bleue de paix parfaitement circulaire et séparée du reste de l'océan par une paroi rouge vif. Nous argentons cette peau que d'autres bronzent. Tout autour de nous, on peut observer des crabes beiges aux yeux exorbités et dressés sur leurs têtes, creuseurs de tunnels dont ils maintiennent le seuil impeccablement propre en le balayant constament, et lanceurs d'attaques fulgurantes contre tout insecte se posant à moins de deux mètres de celui-ci (je les ai vus faire, les mouches n'ont pas le temps de décoller). A notre réveil, nous mangeons quelques sardines, et découvrons un sentier escarpé menant à un petit abri sous-roche isolé. Camper à côté des Allemands, non merci. Nous autres Français sommes bien plus débrouillards, et aussi plus radins. Nous attendons que la nuit tombe, perchés sur un rocher offrant un excellent poste d'observation. Je suis K. dans une scéance de méditation. Un peu plus tard, nous voyons deux jeunes Colombiens grassouillets faire des "exercices" avec autant de mollesse que de présemption. Autre signe de fatuité absent ailleurs. Les autres Colombiens sont généralement bien barraqués, sans fréquenter de salle de sport. Je n'avais jamais vu d'obèses avant d'arriver sur la Côte.
         Je lis GGM dans le noir. Dans sa région natale, son écriture semble luire comme l'oeil des couleuvres, petits micas au fond des rivières.
         La nuit est rude à même la roche, et bien que nous soyons à l'abri de la pluie. Nos tentes et nos fringues empestent. Je n'ai jamais senti pareille odeur. J'ouvre la mienne pour respirer, et le spectacle que révèle le halo de ma lampe dans le noir est saisissant d'effroi. Dansant au son de la mer et des trombes, des dizaines de crabes géants et de serpents encerclent nos tentes. Je la referme bien vite, et me pelotonne dans mon sac de couchage dont je commence à apprécier le musc. Qu'il est bon, parfois, d'être immoral!

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Commentaires
A
Est-ce que tu as envie de te faire un bon chili con carne ? ^^<br /> Pas mal la zoologie (et pas seulement les crabes...)
Voyage d'éléphants
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