Tayrona, deuxième manche
Je me réveille, et cours déposer d'incroyables selles oranges. Diable, ils n'ont pas lésiné sur les colorants dans les boîtes de sardines. J'ai le corps moulu comme après une bonne bastonnade. Mais en quittant la caverne, je me sens déjà mieux. Nous nous mettons directement en route pour une longue journée de marche, en direction de la plage du Cabo et du village indien de Pueblito. Comme personne n'accepte de nous les garder, nous enterrons la plupart de nos affaires (notament les tentes) quelque part dans la forêt, pour avoir moins à porter. En ouvrant une noix de coco, je me plante le couteau de K. dans la main. Un relent de passion chrétienne. J'étais vraiment très attentif au catéchisme. J'aurais peut-être mieux fait de jouer avec un canif dans les bois (ou peut-être pas). La lame s'est enfoncée d'un bon centimètre, mais n'a heureusement touché aucun de mes organes vitaux, seulement de la chair. Vite, je sors l'éosine et le sparadrap. N'empêche que j'ai fini par l'ouvrir, faisant ainsi profiter mon groupe de chasseurs-cueilleurs d'un litre de bon jus frais. Et un homme m'a appris deux méthodes pour ouvrir la coco, faciles et sans danger, que je garderai secrètes.
La randonnée n'est pas toujours aisée, d'un niveau comparable au sentier du cap de la chèvre pour ceux qui connaissent, sauf qu'ici il n'y pas de chèvre cannibale pour nous enlever, seulement quelques vipères inassoupies au soleil. La ballade est saisissante. Nous empruntons les kilomètres d'escaliers en pierre taillés par les Indiens jadis (et de fait, la seule infrastructure du parc. Merci les Indiens. Quand vous voulez vous revenez bâtir le reste. Ah, non, vous êtes un peu... morts.) Nous culminons deux heures après à Pueblito, village construit en terrasses, toujours intact malgré les siècles. Ils savaient y faire. Trois enfants indigènes vendent des mandarines et du coca-cola, et s'entrepoursuivent avec une machette. Un trap-trap de la jungle. Nous nous baignons dans une rivière, dont on croise les nombreuses embouchures sur la plage (la rencontre entre ces rivières froides d'eau douce, descendant de la Sierra Nevada, et la mer chaude et salée des Caraîbes est un milieu fascinant, tant pour les bains de pieds que pour l'écosystème qu'on y observe). Nous quittons Pueblito, un peu déçus de n'avoir pu y trouver aucune explication sur sa culture, seulement des pierres muettes à voir, entre des chemins mal désherbés, et empruntons un petit sentier peu fréquenté (c'est l'homme des noix de coco qui nous a filé le tuyeau). Nous y croisons entre autres bichos des grenouilles noires et jaunes, extrêmement vénéneuses selon K., qui a passé ces deux dernières années sous une tente dans la jungle nicaragueyenne. Le chemin conduit finalement à une superbe plage baignable et déserte: pas un seul touriste en vue (autre que nous). Je m'amuse comme un petit fou dans les grandes vagues qui l'agitent. J'adore la mer, et ressens de plus en plus un étrange parallélisme entre les Caraîbes et ma Méditerranée. Nous rentrons par un autre chemin plus court, sortons nos affaires de sous terre, et retournons dans notre zone de camping privée. Des jeunes du parc nous voient, ce qui nous embête un peu, car nous ne désirons pas que quelqu'un sache où nous dormons. Mais l'accès à la grotte est quasi impossible à découvrir et à franchir de nuit, aussi nous contentons nous de monter la garde jusqu'à ce qu'elle tombe.
Cette nuit est encore plus rude que la précédente. K., qui ne mange plus grand chose depuis quelques jours, la passe à vomir, à cause d'une vraisemblable gastro. Quant à moi, j'ai passé la journée à me nourrir de petits biscuits au chocolat, et ce détail aura demain son importance...
LEXIQUE :
bicho : bestiole
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