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Voyage d'éléphants
26 septembre 2010

El viajero feliz 3/5

26/09/10 Notons l'amabilité du gérant de la boutique qui a accepté de garder toutes nos affaires le temps que nous déjeunions. Déjeunions? Une marmite de caldo (patates, boeuf, bouillon, cilantro), une assiettée de riz et d'oeufs al gusto (péricos), des chocolats, trois pains, arrosés de café.
Nous descendons plus bas, jusqu'à la Union (1400 m) et le Rio Blanco. Il fait une chaleur tropicale, nous nous baignons et nous lavons dans le fleuve bien que l'eau soit gelée (N.B: utilisation d'un savon biodégradable, of course). Nous lançons quelques lignes improvisées, espérant bonne truite, mais n'attrapons rien. Nous décidons que l'un d'entre nous ira acheter de la viande et des patates au village pour se faire une grillade sur la fogata. Je me porte volontaire pour cette mission délicate. Je trouve sans peine la carnicerie du bled, où les viandes pendent à l'ombre, pas de frigo, bercées par le zonzon des mouches. Un vieillard édenté et sournois me force à lui acheter cuatro libras (2 kilos) de viandes dures. Impossible de négocier. De discuter. Impossible de s'enfuir à cause de l'odeur de la mort. A ma place vous en auriez fait tout autant. Mes camarades ont beaucoup ri face à la viande. Nous commençons à allumer un feu, difficilement car le bois est tout humide de pluie. Trois indiennes passent devant nous sans dire un mot, puis d'un coup font volte-face et nous apprennent une technique redoutable. Elles ramassent promptement les quelques bouts de plastique: sacs, gobelets,... qui traînent au bord de toute rivière, les mêlent au bois, et foutent le feu.
Así no más. Elles se bagarrent quand même un peu sur la manière de l'allumer (así no, qué te vas a quemar mamí), puis s'en aillent sans ajouter un mot de plus. Nous commençons la grillade qui s'annonce splendide. Une pluie torrentielle, tropicale et soudaine nous interrompt en plein milieu: nous avons tout juste le temps de bâcher nos négoces et de monter une tente avant de rentrer, trempés aux os, machouiller notre viande putrébonde, à moitié crue et froide dans la tente (1)). Quand le pluie s'arrête, nous en avons encore un kilo et demi au bas mot. Nous les emballons dans un sac plastique, et nous entamons l'ascension jusqu'à Choachi. C'est très dur. Les habitants nous montrent de nombreuses marques de sympathie sur notre passage. A mi-chemin, un groupe de cyclistes équipés d'un camion remorque (fabriqué la veille dans la nuit, et en période d'essai) accepte de nous remorquer jusqu'au village. Trois cycliques des leurs s'accrochent donc à l'arrière du camion et se font tracter. En route, la viande se décroche de mon colis et choit. Une roue passe dessus, ensuite une autre, mais avant que j'aie pu crier "Laissez-là où elle est!" un des cyclistes a déjà tourné casaque pour la rattraper. A l'intérieur du camion on me demande de quoi il s'agit, je réponds "Es la carne."
On finit par nous déposer à Choachi. Nous remontons vers la partie haute du village. Cinq minutes avant la nuit, nous demandons l'hospitalité dans un garage. Un couple relativement âgé nous accueille merveilleusement: ils nous laissent dormir dans le garage, même dans le camion des pompiers alors en réparation, et nous montrent un W.C. et un coin cuisine à utiliser librement. Nous nous étirons et commençons à cuire la viande: la moitié en bouillon avec les patates restantes pour le petit-déjeuner, l'autre moitié asada pour le soir même. La femme revient du village et nous montre comment s'y prendre. Au passage, elle en profite pour nous compter sa vie et partager ses réflexions: quelle aubaine à ordures pour quelqu'un qui n'a plus depuis longtemps à qui parler (le mari est presque sourd, ou feint de l'être). En plus, nous lui rappelons ses enfants (les enfants sont grands depuis des années, partis et ne veulent pas habiter dans leur vieux village: on se demande pourquoi).
   Comment son mari a perdu toutes ses dents en mordant un voleur (dont il a quand même réussi à arracher un bon morceau). Comment sa fille est entrée dans une chaîne de télévision, qui était en fait une couverture pour un réseau de traite des blanches, et a échappé de justesse à sa propre prostitution après des mois de harcèlement. Pourquoi le vice est partout. S
í o no? Pourquoi il faut battre les enfants pour qu'ils n'entrent pas dans le vice. Comment un jour ayant balancé son fils dans l'escalier, et celui-ci s'étant plaint d'avoir frôlé la mort, elle lui répondit: "Mejor sea yo tu madre, que tiene derecho, que te mate mientras no entras en el vicio!" Et à nous: "Sí o no?" Etc... Elle nous raconte tout ça en réduisant notre motte de viande en petits cubes sanglants, avec son grand couteau, tout habillée de rouge et ses cheveux blancs teints en rouge vif (sauf la frange). Ensuite, aguapanelita caliente para todos, et je te fous au lit. Une traité complet de psychanalyse...
Finalement j'ai dormi seul dans le camion. En premier lieu parce qu'il y avait beaucoup de zancudos. En second lieu parce que je ronflais, et que les autres n'osaient pas me réveiller. J'ai fini par m'endormir, la tête enfouie dans un pull-over, pour pas choper la malaria.

(1) Il est à noter que cette viande, qui avait le grand mérite de sentir bon, ne nous a finalement causé aucun mal de ventre, contrairement à la bouffe des restaurants "aux normes d'hygiènes". A méditer...

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